PRODIG - Pôle de Recherche pour l'Organisation et la Diffusion de l'Information Géographique

« Il était une fois Guinguinéo ou l’avenir en pointillés du train au Sénégal »

(Enregistrement sonore, 14’57)
Une coproduction IRD / Studio Epoukay

Gilles Balizet (IRD – LPED/ICM/Studio Epoukay)

Sylvie Bredeloup (IRD – LPED)

Jérôme Lombard (IRD – PRODIG)

Depuis longtemps déjà, nos chemins se croisent. L’objectif ici est de ralentir et de faire un pas de côté pour mettre en lumière des processus et des idées qui étaient demeurés enfouis. Surgit l’envie de prendre le contrepied de nos parcours récents et des injonctions contraignantes.

Ralentir, oui, mais aussi laisser la place au hasard, se faire plaisir en quittant les sentiers battus, en cette période trouble où tout nous porte à travailler à distance et à recourir à l’autre pour accéder au terrain. Il nous semble encore plus impérieux, dans ce moment qui édicte ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas, de promouvoir le superflu, de réassembler des histoires entraperçues hier, des idées dispersées, afin d’en proposer une nouvelle lecture.

Profitant d’un terrain commun au Sénégal, nous avons comme objectif de connecter autrement transport, mobilité et migration. Partir à Kaolack, l’ancienne capitale de l’arachide, c’est aller à la rencontre d’une ville trépidante. Double surprise à l’arrivée : le concert assourdissant des camions maliens, des vélos-taxis, et la disparition des rails. Par un contraste saisissant, le silence et la torpeur semblent avoir gagné Guinguinéo, l’ancienne escale ferroviaire toute proche.

Enregistrer et mettre en musique les récits apparaissent alors comme une évidence. Le son plus que l’image est à privilégier dans cette région où la moindre illustration peut nous ramener à l’époque florissante de l’économie de l’arachide et à des représentations surannées et idéalisées du passé. Nous nous déplaçons à l’endroit le plus oublié de la région, afin de proposer un regard décalé sur l’avenir du rail au Sénégal. Chacun semble garder en soi l’espoir d’un regain d’activité qui ne se réduise pas au projet présidentiel de train express dakarois. À Guinguinéo pourtant, les cantonniers continuent au quotidien d’entretenir des voies définitivement dégradées ; le policier du rail persiste à assurer scrupuleusement la sécurité de hangars désaffectés. D’emblée, des cheminots évoquent la chanson « Arrigoni Départ », pour ré-enchanter le chemin de fer. Mélodie lancinante qui rappelle l’âge d’or de l’autorail Kaolack-Guinguinéo-Dakar et qui emprunte sa signification à la couleur rouge tomate des voitures. « Arrigoni Départ », un rythme sereer qui raconte en wolof l’histoire d’une jeune femme peul partie par le train, qui ne reverra plus son fiancé éploré. Renversement de perspective étonnant : c’est la jeune femme qui prend l’initiative de partir et c’est l’homme qui montre sa tristesse.

C’est en suivant ce fil qu’avec les musiciens du studio sénégalais Epoukay, nous avons mis en commun notre envie de travailler lentement, ndank ndank, comme on dit. Au jour le jour, ces artistes tentent de redonner noblesse et vigueur à des musiques et chansons oubliés, en tablant sur une collaboration entre jeunes et anciens, les premiers voulant « attraper les papas » pour capter leur oreille musicale, les seconds impressionnés par l’aisance de leurs petits à reproduire les sons. Polir les mélodies, retravailler à l’infini les harmonies, avec pour leitmotiv, « push it to the edge », aller jusqu’à la limite.

Hier chef d’orchestre, directeur et directrice d’équipes, aujourd’hui artisans, nous souhaitons ramener à la lumière des histoires ordinaires et donner un nouvel écho aux vies minuscules.

La situation de Guinguinéo dans le réseau ferroviaire sénégalais
Source : PopulationData.net (https://www.populationdata.net/cartes/senegal-niger-chemin-de-fer)

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